Tout d'abord lyonel Trouillot sur le site de radio Kiskeya
"SI M PA RELE
Un cas de « wont sèvi kòlè »
La tribune de l’écrivain Lyonel Trouillot
samedi 13 mars 2010,
Radio Kiskeya
Il y a quelque chose de pathétique dans les cris de colère lancés par quelques beaux messieurs et quelques bonnes dames clamant leur appartenance aux classes aisées, face aux constats ou propos de journalistes étrangers sur les divisions sociales haïtiennes, sur l’odieuse injustice sociale qui ne résume pas Haïti, mais qui en reste l’une des caractéristiques les plus évidentes pour qui veut regarder.
Il y a eu le séisme. La terre n’a pas fait le tri. Et, dans toutes les classes sociales il y a eu, face à la détresse des autres, des gestes de solidarité, de bravoure, même d’héroïsme. Dans de telles situations, ce sont moins les classes qui sont vertueuses que les individus. Les journalistes étrangers, dans leur majorité, n’ont pas assez signalé la valeur de tels actes, le côté profondément humain des réactions individuelles. Bien sûr, il n’y a pas eu que ça, il y eu les fuites précipitées vers l’ailleurs, quelques entrepreneurs qui ont préféré sécuriser coffres et marchandises, et quelques oreilles restées sourdes aux appels de voisins… Mais tout cela existe partout. Comme le courage et la lâcheté, la bonté humaine et l’individualisme.
Saluer ces actes de courage et ces élans spontanés est une chose. Refuser de voir ce qui était avant le séisme et qui demeure (le manque d’équité, de justice sociale ; l’indifférence de classe ; le parti pris de l’exclusion) est une autre chose. Et refuser aux journalistes, comme à tout individu ou groupe qui le voudrait, de voir ce que l’on ne veut pas voir, de dire ce que l’on ne veut pas entendre, ne fait pas de sens. On peut voir les deux choses en même temps, et les actes de courage de quelques bonnes âmes de quelque soit le milieu ne peuvent servir de masque au partage inégal qui fait les malheurs permanents de ce pays. Qu’il y ait eu des actes de courage, cela veut dire que la société n’est pas fondée sur l’injustice et que cela doit changer ! Qu’il y ait eu des actes de courage, cela veut dire que quand quelqu’un tient des propos qui allient beauté et teint clair, ce n’est pas du racisme ! Qu’il y ait eu des actes de courage, cela veut dire que quand quelqu’un se prévaut de n’être là que pour le commerce et ne s’intéresse qu’à son commerce, c’est de l’humanisme et du patriotisme ! Qu’il y ait des entrepreneurs et des entreprises qui se sont engagés dans l’aide sans penser à leurs intérêts économiques immédiats, voire à perte (hommage leur soit rendu) cela veut dire que ce n’est pas injuste qu’en temps normal le travailleur ne puisse subvenir à ses besoins primaires avec son salaire !
Allons donc. Dénonçons les journalistes pour ce qu’ils n’ont pas vu : des actes de solidarité, de bienveillance, de tous et de partout, la débrouillardise dans les milieux populaires… Pour ce qu’ils ont exagéré par besoin de sensationnalisme : pillages, banditisme… Mais pas pour ce qui est visible à tous, tremblement de terre ou pas : l’existence du racisme, le partage trop inégal des richesses, le mépris de l’autre par certains groupes sociaux ou au moins par certains membres de certains groupes sociaux. Aux yeux du peuple haïtien dans sa grande majorité, aux yeux du monde entier (il suffit de passer quelques heures ici et d’observer le fonctionnement de certains groupes) les élites économiques haïtiennes ne sont pas jolies. En y mettant des nuances, on pourrait dire que tous les membres de ces élites n’ont pas forcément le même comportement, et ce serait sans doute vrai, mais c’est une loi humaine que l’évidence du pire. Folles, ces élites, ou fous les pires en elles s’ils croient que quelqu’un, en dehors de leurs cercles les trouve modernes, sympathiques… Quelle doit être la solitude de celui qui n’est beau qu’à ses propres yeux…
LYONEL TROUILLOT"
Ensuite sur le site du nouvelliste un autre écrivain: Gary Victor, comme vous pourrez le voir ce qu'il dit n'est pas très différent de mon avant dernier message. C'est par contre beaucoup mieux écrit.
Chronique d'une folie incrustée
"Haïti: Nous continuons à fonctionner dans l'escalier mental de notre folie ségrégationniste même dans l'après-séisme. Dans les camps, dans la tête des gens, il s'établit une hiérarchie sociale établie selon qu'on vit sous une tente, sous un prélart, sous un abri en toile, sous un abri en tôle et dernier niveau, sous un abri en carton. Il faut dire que parmi les tentes, il ne fait pas trop bien de se retrouver parmi ces tentes très basses qui étaient vendues ou distribuées avant le séisme.
Un ami me faisait remarquer qu'il avait été assez surpris de voir un étranger vanter les mérites de l'eau que son ONG distribuait bien sûr gratuitement à des centaines de sinistrés, puis de voir ce même étranger sortir d'un supermarché trainant devant lui un charriot plein de bouteilles d'eau de boisson pour son usage personnel. C'était en vérité un bel exemple de probité- on ne verrait pas un comportement pareil chez un natif-natal- mais aussi une preuve que cet étranger ne faisait peut-être pas confiance à cette eau dont il ventait les mérites.
Au niveau du kilomètre 3, de la route de l'Amitié qui relie la nationale 2 à la ville de Jacmel, où on persiste, depuis des années, à exploiter une carrière de sable qui met toute cette région en danger, le séisme a fragilisé encore plus l'environnement. D'impressionnants rochers se sont détachés de la montagne et ont roulé pour se mettre presque au travers de la route. Samedi matin, j'ai vu de mes yeux plusieurs camions s'arrêter au bord de la route pendant que des travailleurs piochaient dans les rochers pour en récupérer le sable. En fait, la mine continue à être exploitée comme si de rien n'était. Plus les jours passent et plus la folie s'incruste.
J'ai vu aussi des faux camps en deux endroits au bord de la route de l'amitié et on m'a signalé des faux camps en d'autres lieux. Sachant que les étrangers distribuent nourriture et denrées diverses aux sinistrés bien visibles, certains malins s'empressent de construire un camp. Il faut qu'il soit dans le plus mauvais état possible. Un état.. médiatique. Pour atteindre l'étranger au coeur là où l'Haitien resterait de... marbre. Bois, toiles, matériaux de récupération et on fait s'y installer femmes, enfants surtout de la zone. Avec un peu de chance, on peut voir la manne du ciel tomber rapidement.
Il y a même l'histoire d'autres petits malins qui ont installé des tentes dans différents camps de manière à récupérer le plus possible au niveau de l'aide distribuée. Les cartes pour la nourriture sont aussi l'objet de pas mal de trafic. La chance, c'est qu'avec tout le riz, momentanément, en circulation, le commerce de cette denrée trafiquée, momentanément, se ralentit. Mais comme tout cela ne peut être que momentané et comme notre président, soucieux de certains intérêts, veut défendre la « production nationale » en ralentissant l'aide, on peut s'attendre bien vite à une reprise très profitable. Il faut se défendre comme on dit dans notre savoureux langage.
On s'installe dans une précarité qui est peut-être meilleure que celle d'avant. Dans la précédente, on était inexistant aux yeux de l'État. Maintenant, on est visible aux yeux des étrangers et on devient une mine d'or pour les grands malins qui aiment bien les catastrophes. Le Champ de Mars, la nuit, a l'ébullition d'une cour des miracles. C'est la grande promiscuité des fêtes champêtres haïtiennes où les souffrances, le mépris s'oublient dans un corps à corps forcené avec la nuit, avec les ténèbres. On y fait le commerce de tout, du frais et du moins frais, du naturel et du conservé, de l'enfumé, du braisé, dans une ambiance où les vapeurs d'ammoniaque se mêlent à d'autres plus insupportables, mais que nos nez, si habitués, à la corruption ne peuvent plus capter. Il y a des citoyens qui y vont pour cette ambiance de fin du monde, mais combien excitante dans notre culture du chaos.
N'oublions pas les lignes impressionnantes devant les guichets de la DGI et d'autres institutions étatiques devant fournir des services aux citoyens. Dans des conditions dites normales, on ne se préoccupait pas trop de faciliter aux citoyens l'accès aux services. Maintenant, c'est encore pire surtout que la priorité pour l'État, c'est de rentrer du fric. Ce qui est toujours bizarre dans cette histoire, c'est que ces queues pour des services essentiels ne sont pas faites pour certains de nos compatriotes. La queue a toujours pour fonction de monnayer au prix fort l'accès et la rapidité de certains services. Alors, ceux qui peuvent payer ne s'en privent pas.
La réouverture des classes est sans doute le plus grand casse-tête que doivent résoudre nos dits dirigeants. Quelques écoles qui avaient tenté même de réunir leurs élèves pour définir une nouvelle programmation devant empêcher une rupture trop longue avec le cycle normal d'apprentissage ont dû les renvoyer manu militari sous la surveillance de fonctionnaires du ministère de l'Éducation nationale soudainement soucieux d'empêcher une éducation à deux ou trois vitesses. Pendant ce temps, tous ceux qui ont un tant soit peu de moyens - en particulier nos dirigeants - expédient leurs enfants à l'étranger pour qu'ils puissent continuer le plus vite possible leurs études. Pendant ce temps, le petit peuple jeune fait appel à Jésus sous l'oeil rigolard du président de la République trop heureux sans doute que Dieu, par une impensable rhétorique, soit rendu responsable de la catastrophe et de tous ces morts.
Il y a cette blague qui court les rues : Satan, sidéré, muet de jalousie, regarde le spectacle de Port-au-Prince le matin du 13 janvier et dit, furieux, vexé : « Peyi sa a vire lòlòj moun ou pa ta sipoze ! Brother a pa ta bezwen rive nan sa m wè a pou l fè moun sou do m ! »
Gary Victor
dimanche 14 mars 2010
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je pensai que favoriser l'agriculture locale etait une bonne chose
RépondreSupprimeren mm temps j'y connais pas grand chose
merci pour vos articles
framboise